Bulletin Joly Sociétés, Juin 2018, p. 309
Editorial – Philippe DUPICHOT, Professeur à l’école de droit de la Sorbonne (Paris 1)
Il devient chaque jour plus étrange que les Européens commercent entre eux avec une monnaie unique et des droits des affaires éclatés : un marché unique commande pourtant des règles du jeu unifiées et pas seulement harmonisées.
Les États-Unis d’Amérique hier (Uniform Commercial Code de 1952), les pays de la zone OHADA (Traité de Port-Louis, 1993) aujourd’hui l’ont compris mieux que quiconque : un droit sûr, lisible et accessible est un vecteur de croissance économique.
La vieille Europe reste de ce point de vue à la traîne : ainsi que cela a été récemment démontré dans l’inventaire élaboré sous l’égide de l’Association Henri Capitant, la construction européenne en droit des affaires est tout à la fois inaccessible, hétérogène et inachevée. Les principes de subsidiarité et de proportionnalité ont été de puissants freins à l’émergence d’un droit commercial européen.
L’entrepreneur et la PME intéressent insuffisamment un législateur trop enclin à ne réglementer que les plus puissants (banquiers, assureurs, entreprises susceptibles de fausser la concurrence) ou les plus faibles (consommateurs) (La construction européenne en droit des affaires : acquis et perspectives, préf. Giscard d’Estaing V., oct. 2016, LGDJ). Qui entend exercer les libertés communautaires ‘établissement et de libre prestation de services reste paradoxalement placé sous l’empire de droits nationaux. L’entrepreneur ne trouvera dans le droit européen ni une société pour abriter sa petite ou moyenne entreprise, ni un bail pour louer ses locaux, ni un crédit ou une sûreté pour se financer, ni une assurance pour couvrir ses biens ; et, si le pire doit arriver, ses créanciers n’auront ni voie d’exécution, ni faillite authentiquement européennes à leur disposition …
Plus de 60 ans après la signature du Traité de Rome, il importe que cela change : la prochaine sortie du Royaume-Uni est propice à ce qu’un droit continental – que l’immense majorité des États membres ont en partage – structure davantage l’Europe des échanges. Le couple franco-allemand doit ici jouer un rôle moteur. Tel est le sens du projet de Code européen des affaires initié par l’Association Henri Capitant en partenariat avec la Fondation pour le droit continental.
Une réunion plénière des 13 groupes de travail institués s’est tenue à Bonn, fin mars 2018, qui a permis de mesurer tout l’intérêt et les défis d’un projet qui n’est déjà plus une utopie. En effet, le 26 septembre 2017, le président Emmanuel Macron a semblé lui-même embrasser l’objectif d’un Code européen des affaires dans son discours de la Sorbonne : « Pourquoi ne pas se donner d’ici à 2024 l’objectif d’intégrer totalement nos marchés en appliquant les mêmes règles à nos entreprises, du droit des affaires au droit des faillites ? ». Puis, le 22 janvier 2018, le Bundestag et l’Assemblée nationale ont adopté une résolution commune plaidant pour « la réalisation d’un espace économique franco-allemand avec des règles harmonisées, notamment en ce qui concerne le droit des sociétés et l’encadrement des faillites d’entreprises ».
Le chemin menant à un Code européen des affaires sera long et difficile : sans doute est-ce ce qui le rend si enthousiasmant. À ne prendre qu’un exemple bien connu des lecteurs du Bulletin Joly Sociétés, comment se résoudre à l’échec de la société privée européenne et à l’enlisement de la societas unius personæ ? Il importe de promouvoir l’avènement prochain d’une société européenne simplifiée (SES), hybride européen de la SARL, de la Gmbh et de la SAS. Une telle entité, dont le capital social serait d’un montant limité, pourrait être indifféremment uni ou pluripersonnelle : elle ne manquerait pas de concourir à réincarner le rêve européen auprès des entrepreneurs en offrant à ceux-ci la perspective d’un grand marché.