Extrait du Rapport d’information de MM. Sylvain Waserman et Christophe Naegelen sur l’avenir de la Zone Euro déposé par la Commission des Affaires étrangères

EXTRAIT DU
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 24
octobre 2017
sur l’avenir de la zone euro

Co-rapporteurs

M. Christophe NAEGELEN
M. Sylvain WASERMAN
Députés

II. PROMOUVOIR LA NAISSANCE D’UN CODE EUROPÉEN DES AFFAIRES POUR DONNER UN NOUVEL ÉLAN AU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DE LA ZONE EURO

Si les enjeux autour de la convergence sociale et fiscale sont importants au regard de la consolidation de la zone euro et du développement de son potentiel de croissance, vos rapporteurs souhaitent insister sur le projet novateur d’élaboration d’un code européen du droit des affaires, un outil qu’ils estiment majeur et prioritaire pour une plus grande convergence et une accélération du développement économique au sein de la zone euro.

En effet, pour accroître son potentiel de croissance, la zone euro a plus que jamais besoin de simplifier et faciliter les relations économiques entre ses pays membres. Aujourd’hui, les entreprises, et tout particulièrement les PME, font face à une mosaïque complexe de règles européennes, entravant de manière considérable leur développement économique sur le territoire européen. La zone euro a besoin d’un développement dynamique qui ne soit pas sans cesse entravé par 19 législations différentes sur les conditions de vente, 19 règles sur les faillites etc. C’est un élément clef des gains de compétitivité des entreprises de la zone euro.

La convergence réglementaire visant l’amélioration de l’environnement réglementaire de l’économie, notamment pour résoudre les distorsions issues des divergences en ce qui concerne les entreprises et leurs investissements, vos rapporteurs appellent à un sursaut en ce sens, et tout particulièrement à accompagner et porter les travaux en cours sur l’élaboration d’un Code européen du droit des affaires. L’enjeu est de faire de la zone euro, et plus largement de l’Union européenne, un territoire encore plus propice au développement des affaires, notamment dans le cadre d’une forte concurrence mondiale (82). Une simplification ou un accroissement de la transparence réglementaire peut avoir un impact considérable sur la croissance d’un pays.

A. L’ÉLABORATION D’UN CODE EUROPÉEN DU DROIT DES AFFAIRES : OUTIL CONCRET DE CONVERGENCE ET DES SIMPLIFICATIONS AU SERVICE DES ENTREPRISES

L’élaboration d’un code européen des affaires n’est encore actuellement à l’ordre du jour de la Commission européenne mais celle-ci, dans le Livre blanc sur l’avenir de l’Europe de mars 2017, envisage plusieurs niveaux d’intégration européenne, proposant qu’« un groupe de pays travaille en collaboration et convient d’un « code de droit des affaires » commun unifiant le droit des sociétés, le droit commercial et des domaines connexes qui aide les entreprises de toutes tailles à exercer facilement leurs activités au-delà des frontières ». Un projet de coopération renforcée entre la France et l’Allemagne se fait jour à ce sujet : le 26 septembre 2017, dans son discours prononcé à la Sorbonne, Emmanuel Macron proposait un partenariat nouveau avec l’Allemagne, avec, comme objectif d’ici 2024 « d’intégrer totalement nos marchés en appliquant les mêmes règles à nos entreprises, du droit des affaires au droit des faillites ». Les membres du Bundestag en charge des relations avec la France ont publié le 11 novembre 2017 une tribune dans Le Monde et le FAZ appelant à « parachever l’intégration des marchés de part et d’autre du Rhin, avec des règles uniques pour les entreprises, depuis le droit des sociétés jusqu’au droit des faillites ». Le 22 janvier 2018, l’Assemblée nationale et le Bundestag ont adopté une résolution commune plaidant « pour la réalisation d’un espace économique franco-allemand avec des règles harmonisées, notamment en ce qui concerne le droit de sociétés et l’encadrement des faillites d’entreprises ». Le projet de code européen des affaires devrait devenir une des pierres angulaires du nouveau traité de l’Élysée entre la France et l’Allemagne. D’ailleurs, dans le Contrat de coalition du Gouvernement allemand, ce projet est évoqué comme un des plus concrets de coopération avec la France.

L’objectif est de réaliser une unification du droit des affaires en France et en Allemagne, tout en permettant aux différents États membres d’adopter par la suite ce code commun. Cette idée progresse : il est difficile de créer un véritable espace économique sans appliquer des règles similaires à tous ses acteurs.

Or, les entreprises font face à une mosaïque de règles européennes ; cette complexité les entrave, notamment les PME, pour l’application du principe de libre circulation. En effet, en dépit des efforts de l’Union européenne, les directives et, dans une moindre mesure, les règlements intéressant les matières du droit des affaires restent en la forme insuffisamment lisibles et accessibles. Quant au fond, la construction d’un droit commercial commun reste entière, celui-ci étant largement dépendant du droit interne des États membres.

Le marché unique est loin d’être achevé : par exemple, comme le soulignent deux députés allemand et français, MM. Rüdiger Kruse et Franck Riester,(83) un entrepreneur qui veut créer une entreprise transfrontalière doit créer une société française, allemande ou italienne car il n’existe pas de modèle européen pour les PME.

Le droit européen des affaires peut donc être perçu comme un patchwork, tant l’hétérogénéité est grande entre les droits nationaux, mais il existe également des vides juridiques. Or, aujourd’hui, non seulement l’absence d’un code nuit à la compétitivité des entreprises européennes, mais elle réduit l’attractivité du marché européen pour les entreprises étrangères. L’absence de code et la complexité des différentes règles européennes réduisent l’attractivité du marché européen.

La rédaction d’un code donnerait une meilleure visibilité des réglementations nécessaires pour envisager un cadre européen à la vie des affaires. Une réglementation codifiée des relations commerciales entre acteurs économiques permettrait à la fois de maximiser les chances de sécuriser le cadre règlementaire applicable, mais aussi de protéger et d’encourager les échanges frontaliers et les investissements des entreprises, et notamment des PME, qui constituent l’essentiel du tissu économique de l’Union européenne.

Le code européen des affaires achèvera le marché unique européen et consolidera la zone euro, actuellement fragilisée par une règlementation trop financière. Enfin, il permettra de réduire le dumping entre pays européens « plus unis, les États européens seront mieux armés pour faire face à la concurrence mondiale », comme le souligne M. Louis Vogel, professeur à Paris II(84).

L’exemple du dollar aux États-Unis adossé au Uniform Commercial Code montre que la cohésion d’une union monétaire est toujours marquée par un droit des affaires unifié. L’unification du droit des affaires est ainsi nécessaire à la consolidation de l’euro.

Toutefois, la mise en œuvre d’un tel projet prendra du temps. Il faudra embrasser des domaines très vastes, tels que le droit des sociétés, le droit fiscal, le droit des fusions, le droit de la concurrence, etc. Selon Mme Sandrine Gaudin, Secrétaire générale des affaires européennes, lors de son audition par la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale(85), il faudra déterminer quel sera le champ de ce code, car les compétences de l’Union pour légiférer sont plus ou moins larges selon le domaine concerné et le degré d’harmonisation des règles plus ou moins poussé. Selon la définition qui sera retenue, la compétence de l’Union européenne sera plus ou moins grande : par exemple, pour le droit du travail, la compétence de l’Union est réduite, contrairement au droit de la concurrence. Il faudra donc délimiter les périmètres, ce qui entraîne inéluctablement un parti pris et risque d’entraîner des désaccords.

La complexité d’une unification apparaît déjà avec les transpositions : de nombreuses directives relèvent du domaine du droit des affaires, et pour une meilleure harmonisation, il faudra veiller au choix des transpositions ; en effet, il n’existe pas de norme applicable dans chacun des États : « pour chaque transposition des questions se posent : que veut-on faire de cette norme générale qu’on nous demande d’appliquer ? Jusqu’où faut-il transposer ? Faut-il utiliser les dérogations permises par le texte ? Or, en fonction des réponses données à ces questions et des choix opérés, le régime ne sera pas le même, par exemple, en France et en Allemagne. En rédigeant le code des affaires, on se heurtera à ce type de difficultés ». Ce faisant, les dispositions résultant des transpositions ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre.

À titre d’illustration, aujourd’hui, quand deux directives européennes sont transposées en termes identiques en droit français et en droit allemand, c’est par accident. C’est pourquoi, l’une des missions de l’Assemblée parlementaire franco-allemande sera de proposer une transposition identique par défaut en droit interne afin de contribuer à un début d’harmonisation.

En France, un projet de loi est examiné actuellement par le Parlement afin de supprimer certaines dispositions de notre droit national sur-transposant des directives européennes, celles-ci pénalisant la compétitivité des entreprises, l’emploi, le pouvoir d’achat et l’efficacité des procédures administratives et des services publics. Cette loi sera la bienvenue et contribuera à un début d’harmonisation, car actuellement, les dispositions résultant des transpositions ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre.

Le recensement et la comparaison des normes européennes ainsi que la production d’un texte pouvant convenir aux spécificités locales constituera ainsi un travail considérable.

M. Nicolas Véron a suggéré à vos rapporteurs d’explorer en priorité, pour ce sujet complexe, deux pistes : la première serait une harmonisation très avancée et spécifique du droit des faillites bancaires, par exception au droit commun des faillites d’entreprises et compte tenu des enjeux de stabilité financière. Une telle réforme serait le complément naturel de l’adoption de la directive BRRD(86) et de la création d’un mécanisme de résolution unique pour les banques de la zone euro. : « À terme il me semble qu’un système intégré, avec une cour européenne des faillites bancaires à Luxembourg, est la seule solution pérenne ». À défaut, il propose une harmonisation moins ambitieuse, mais néanmoins substantielle du droit des faillites d’entreprises non bancaires, importante notamment pour la mise en œuvre réelle du projet d’union des marches de capitaux. En effet, pour renforcer l’intégration de la zone euro et favoriser les investissements transfrontières, d’importantes avancées en matière d’harmonisation règlementaire sont indispensables.

Il faudrait tout d’abord harmoniser certaines règles comptables s’appliquant aux petites entreprises. Cela permettrait une amélioration des pratiques comptables dans certains pays comme l’Italie et l’Espagne, et donc d’améliorer la confiance des investisseurs au sein et en dehors de la zone euro.

Aujourd’hui, les normes comptables sont harmonisées pour les comptes consolidés des sociétés cotées, selon le référentiel des IFRS (International financial reporting standards). Il faudrait donc avancer sur l’harmonisation des normes pour les sociétés non cotées. De même, il serait plus que pertinent d’étendre l’usage des IFRS aux comptes consolidés des banques non cotées, dans le contexte de l’Union bancaire. Toutefois, cette proposition se heurte encore à de fortes résistances, notamment côté allemand.

Des améliorations sont également envisageables pour renforcer la cohérence du contrôle de la mise en œuvre des IFRS par les sociétés cotées. La proposition consistant à créer un « European chief accountant », équivalent de la direction des affaires comptables de l’Autorité des marchés financiers en France, n’est pas nouvelle mais reste pleinement d’actualité.

La réforme de la règlementation et de la surveillance des auditeurs, qui repose actuellement sur le règlement n° 537/2014 du 16 avril 2014 relatif aux exigences spécifiques applicables au contrôle légal des comptes des entités d’intérêt public, fait également l’objet de propositions, allant notamment dans le sens de la création d’une autorité européenne de surveillance, par exemple dans le cadre de l’Autorité européenne des marchés financiers. Toutefois, cette idée rencontre encore d’importantes réticences catégorielles.

Deuxièmement, des avancées sont également souhaitables concernant le droit des faillites, dont il faudrait améliorer la prévisibilité au moyen d’une harmonisation européenne. Si la perspective d’un droit des faillites unique au sein de la zone euro, et a fortiori de l’Union européenne semble trop ambitieuse à court et moyen terme, d’autres possibilités doivent être explorées :

  • Une harmonisation poussée du droit des faillites bancaires, qui contribuerait pleinement à répondre à l’objectif de stabilité financière. Une telle réforme complèterait l’adoption de la directive BRRD et la création du MRU. À terme, il faudrait se doter d’un système intégré, comprenant une cour européenne des faillites bancaires.
  • Une harmonisation dans un premier temps plus modeste du droit des faillites des entreprises non bancaires, particulièrement importante pour la mise en œuvre du projet d’Union de marchés des capitaux, et dont les modalités restent à élaborer.

Quelles que soient les difficultés, vos rapporteurs se félicitent que 200 universitaires franco-allemands, dans le cadre de l’Association Henri Capitant, avec le concours de la Fondation pour le droit continental(87), portent ce projet(88) et réfléchissent à l’élaboration à terme d’un véritable droit des affaires dans la zone euro (cf. annexe n°5). Cette initiative est également soutenue par des juristes italiens. Il a été organisé un colloque le 21 novembre à l’instigation de la Représentation permanente française à Bruxelles sur le sujet. La Fondation Robert Schuman(89) se félicite de cette démarche, venue « d’en bas » : à l’heure où le sentiment d’application d’un droit européen venu « d’en haut » est dénoncé, la possibilité du développement d’une législation par des praticiens du droit et du monde entrepreneurial serait la bienvenue. Un premier travail soutenu par cette association, en 2016, dresse le bilan de l’acquis européen, dans douze matières incontournables de la pratique des affaires : le doit du marché, le droit du commerce électronique, le droit des sociétés, le droit des entreprises en difficulté, le droit bancaire, le droit des assurances, le droit des marchés financiers, le doit de la propriété intellectuelle, le droit social et le droit fiscal. Il donne également des pistes pour construire un droit européen des affaires intégré. Cet ouvrage(90), préfacé par Valéry Giscard d’Estaing, se veut fondateur d’une dynamique de consolidation de la zone euro : l’ancien Président de la République souligne en effet que « les entreprises constituent la source première de la création de richesses, de la croissance et de l’emploi. Elles doivent évoluer dans un environnement juridique, fiscal et social convergent, dès lors qu’ils opèrent au sein d’un espace monétaire unifié. C’est pourquoi il est temps d’adosser la monnaie unique, l’euro, à un socle unifié de droit des affaires ».

Les 12 thématiques font chacune l’objet d’une étude par un groupe de travail dirigé par un binôme franco-allemand : chacun d’entre eux proposera un code thématique après consultation des personnes concernées. Vos rapporteurs soutiennent vivement ce projet. Alors que « la réalisation d’un espace économique franco-allemand avec des règles harmonisées » est encouragée des deux côtés du Rhin, ils appellent à se saisir de cette opportunité en accompagnant cette initiative qui pourra avoir un effet d’entraînement plus large au sein de la zone euro et profitera à son développement économique.

Vos rapporteurs regrettent que ce sujet, peu médiatique, soit absent du débat politique, alors qu’une telle harmonisation serait un instrument facilitateur, garant d’une plus grande efficacité et d’une plus grande simplicité, notamment pour les entreprises.

Ils proposent que l’Assemblée parlementaire franco-allemande soit l’instance facilitatrice de l’unification des droits des affaires allemand et français.

Ils soulignent que la constitution de ce code doit donner lieu à une harmonisation et non pas à un ajout aux droits nationaux existants. Il faut en effet, pour une plus grande simplicité et une plus grande efficacité, se garder de créer encore davantage de normes contraignantes pour les entreprises – ce qui serait à l’opposé du but recherché. Il s’agit au contraire d’harmoniser pour diminuer la complexité inutile à laquelle font face les entreprises qui exercent dans les deux pays. L’harmonisation des règles doit contribuer, à court terme, à favoriser le développement économique et, à moyen terme, à réduire les « dumpings » économiques, fiscaux et sociaux existant actuellement.

Là aussi, l’axe franco-allemand serait le point de départ d’un code plus largement partagé par un cercle de pays volontaires au sein de la zone euro.

Il conviendra, dès lors, de convaincre les différents États membres car tous ne sont pas, comme la France et l’Allemagne, aussi favorables à une harmonisation, même si le Brexit paraît fournir une opportunité à saisir. En effet, pendant longtemps, la Grande Bretagne défendait les spécificités de la « Common Law ». Son départ replace le droit continental ou droit de tradition romano-germanique au cœur des caractéristiques essentielles partagées par la majorité des pays de l’Union.


(83) « Pour un code européen des affaires » ; Le Monde, 5 mai 2018.
(84) Recueil Dalloz – 6 septembre 2018.
(85) 11 octobre 2018.
(86) Directive relative au redressement des banques et à la résolution de leurs défaillances du 15 mai 2014.
(87) La Fondation pour le droit continental, dont le conseil d’administration comprend des représentants des ministères de la Justice, de l’Économie et des Finances et de l’Europe et des Affaires étrangères, finance les travaux et en assure le portage politique. Soutiennent également ces travaux la Caisse des Dépôts et Consignations, le Conseil Supérieur du Notariat, le Conseil National des Barreaux, le Think Tank Europanova, l’Association pour l’Unification du Droit des Affaires en Europe et l’Institut Robert Schuman.
(88) Dont M. Philippe Dupichot, professeur à l’université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) et M. Mathias Lehmann, professeur à l’université de Bonn.
(89) « Question d’Europe » n°418.
(90) « la construction européenne en droit des affaires : acquis et perspectives ».

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