Franck Le Mentec et Christophe Vernières : « Parvenir à créer un droit européen des affaires unifié »

Christophe Vernières et Franck Le Mentec

C’est une petite révolution dans le monde des affaires. Sous l’impulsion de Paul Bayzelon, un code européen du droit des affaires prend forme. Visant à faciliter les échanges entre les acteurs économiques, notamment les PME, le projet veut harmoniser et simplifier la législation applicable dans les États du Vieux Continent. L’avocat Franck Le Mentec et l’universitaire Christophe Vernières, membres du groupe de travail chargé de rédiger la partie fiscale du futur code, reviennent sur l’état d’avancement des travaux.

Décideurs. Quelle est la genèse du projet de création d’un code de droit européen des affaires ?

Franck Le Mentec. L’initiative de ce projet revient à Paul Bayzelon. Père de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), il a souhaité soutenir un projet similaire en Europe pour favoriser le développement des affaires pour les PME continentales. Le projet de code ne concernera donc ni les grands groupes ni les personnes physiques. L’idée de Paul Bayzelon selon laquelle il est délicat de créer un espace économique commun sans y appliquer des règles similaires a fait son chemin et a rapidement fédéré de nombreux professionnels et universitaires. Peu à peu, le projet s’est structuré. La matière a été divisée en douze thématiques (droit social, droit fiscal, droit des sociétés, etc.) traitées chacune par un groupe de travail dirigé par un binôme franco-allemand. Ainsi dans chaque groupe se côtoient des praticiens et des professeurs de toutes nationalités.

Christophe Vernières. L’idée de rédiger un code européen des affaires est née d’un double constat. Le premier tient au fait, assez inconcevable, qu’il existe une monnaie unique sur le continent mais que les acteurs économiques commercent avec des règles différentes. Le second concerne la tradition écrite du droit européen qui, avec le temps, est devenu trop complexe, illisible et incompréhensible pour ceux qui n’ont pas un département juridique dont c’est le travail de décrypter ces normes. L’objectif est donc d’unifier pour créer un droit accessible, clair et simple.

Quel est l’état d’avancement du code ?

F. L. M. La première étape qui consistait en un état des lieux est bouclée. Au cours de cette période, nous nous sommes interrogés sur ce qui était à unifier et, pour ce qui ne l’était pas, sur des propositions d’amélioration des régimes existants. Ces travaux ont donné lieu à la publication en 2016 d’un ouvrage préfacé par Valéry Giscard d’Estaing, paru sous l’égide de l’Association Henri Capitant et traduit en allemand et en anglais.

C. V. L’Association Henri Capitant, habituée à formuler des propositions juridiques techniques, s’est elle-même rapprochée de la Fondation pour le droit continental, habituée à dialoguer avec les pouvoirs publics. Grâce au travail de concert des deux structures et de tous les contributeurs, le livre a reçu un bon accueil de la part du gouvernement et des instances européennes notamment. La Chancellerie s’est montrée enthousiaste et a même demandé à assister à certaines de nos réunions. Le discours en Sorbonne d’Emmanuel Macron en juillet 2017 dans lequel le Président appelait de ses vœux l’émergence d’un droit des affaires européennes unifié non seulement pour les groupes mais aussi pour les plus petites sociétés, avait donné le ton. Les prochaines élections européennes vont sûrement encore relancer le sujet.

Quelles sont les prochaines étapes pour la rédaction du code ?

F. L. M. Nous entamons la deuxième phase de travail qui consiste à définir et identifier les meilleures techniques de travail selon les spécificités de chacune des thématiques traitées dans le code. S’agit-il de consolider ou d’harmoniser ? De traiter des problématiques B2B ou B2C ? De quelles impositions souhaite-t-on traiter ? En ce qui concerne la fiscalité, nous avons vite abandonné l’idée de vouloir consolider les normes fiscales dans l’Union. Nous avons, en revanche, identifié certains vides juridiques qui peuvent être comblés ainsi que certaines dispositions relatives à l’impôt sur les sociétés (IS) ou la TVA qui pourraient être revues et fluidifiées. Ce n’est donc que dans un troisième temps que nous nous consacrerons à la rédaction des dispositions du code.

C. V. D’ici là, chaque groupe de travail avance à son rythme tout en se concertant, au moins une fois par an, pour s’assurer que les différentes contributions soient compatibles. Normalement, les premiers rendus seront adressés dès 2020 à deux coordinateurs, Philippe Dupichot et Cyril Grimaldi, pour une consolidation et une harmonisation de l’ensemble.

Comment le code européen s’intégrera-t-il au sein des normes européennes et nationales ?

C. V. Tout dépendra de la volonté du législateur européen. Idéalement, nous voudrions établir des règles matérielles unifiées. Mais dans certaines matières, il ne s’agira peut-être que de règles optionnelles.

F. L. M. En un mot, il s’agit de coopération renforcée et pas forcément d’une uniformisation qui requerrait l’unanimité des États membres.

Sur quelles thématiques et mesures fiscales travaillez-vous en particulier ?

F. L. M. L’assiette commune consolidée pour le calcul de l’IS est déjà un chantier en cours. Nous n’allons pas revenir dessus mais nous concentrer sur certains sujets techniques pour les PME. La question du taux de l’IS sera peut-être abordée également. Certains aspects pratiques de la TVA vont nous occuper. Aujourd’hui, le système, complexe, constitue un frein au développement d’activités transfrontalières car il est très difficile de récupérer des crédits de TVA. Sans parler des problématiques de retenue à la source. Il ne s’agit évidemment pas de réformer la territorialité de la TVA mais de trouver des mécanismes pratiques pour éviter ce genre de problématiques qui pénalisent les PME.

C. V. L’idée fondamentale est de produire des règles simples à destination des petites entreprises. C’est l’artisan, le fleuriste, le commerçant de proximité que nous souhaitons aider en rédigeant ce code.Comment le code européen s’intégrera-t-il au sein des normes européennes et nationales ?

C. V. Tout dépendra de la volonté du législateur européen. Idéalement, nous voudrions établir des règles matérielles unifiées. Mais dans certaines matières, il ne s’agira peut-être que de règles optionnelles.

F. L. M. En un mot, il s’agit de coopération renforcée et pas forcément d’une uniformisation qui requerrait l’unanimité des États membres.

Sur quelles thématiques et mesures fiscales travaillez-vous en particulier ?

F. L. M. L’assiette commune consolidée pour le calcul de l’IS est déjà un chantier en cours. Nous n’allons pas revenir dessus mais nous concentrer sur certains sujets techniques pour les PME. La question du taux de l’IS sera peut-être abordée également. Certains aspects pratiques de la TVA vont nous occuper. Aujourd’hui, le système, complexe, constitue un frein au développement d’activités transfrontalières car il est très difficile de récupérer des crédits de TVA. Sans parler des problématiques de retenue à la source. Il ne s’agit évidemment pas de réformer la territorialité de la TVA mais de trouver des mécanismes pratiques pour éviter ce genre de problématiques qui pénalisent les PME.

C. V. L’idée fondamentale est de produire des règles simples à destination des petites entreprises. C’est l’artisan, le fleuriste, le commerçant de proximité que nous souhaitons aider en rédigeant ce code.

Le travail de groupe s’avère-t-il compliqué ?

C. V. Il n’est pas évident de fédérer les opinions, d’autant plus que certains groupes sont constitués d’une trentaine de personnes. Pour ce qui est de la fiscalité, la tâche est peut-être encore plus délicate car il s’git d’une matière qui touche à la souveraineté des États et que les traditions des uns peuvent être très éloignées de celles de ses voisins.

Comment mesurer votre succès dans cette entreprise colossale ? À quel moment estimerez-vous avoir rempli votre mission ?

F. L. M. C’est la propension qu’aura le législateur national et européen à reprendre ou non nos propositions qui sera la meilleure façon de jauger notre succès.

C. V. Le retour des principaux intéressés, les entreprises, compte aussi beaucoup. Nous les avons sollicitées pour comprendre quelles difficultés elles rencontraient au quotidien, quels étaient les problèmes systémiques qui les concernaient. Nous avons ensuite mené un gros travail de ventilation pour distinguer les problèmes qui relevaient d’une spécificité ou d’une situation ponctuelle de ceux qui concernaient un grand nombre de sociétés et qui, donc, réclament une réponse globale. Le retour des entreprises et de leurs dirigeants sera aussi un bon indicateur de la réussite de ce code.

Propros recueillis par Sybille Vié, 27/09/2018
www.magazine-decideurs.com

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