Droit européen des affaires : Selon Valérie Gomez-Bassac les PME sont victimes d’une forme de protectionnisme intra-européen

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Valérie Gomez-Bassac. © DR

La députée LREM du Var, Valérie Gomez-Bassac, a remis au ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, un rapport important sur l’harmonisation du droit des affaires en Europe (droit commercial, droit des sociétés, droit des contrats…). La fragmentation des législations et des réglementations au sein des Vingt-Huit empêche les PME de se développer au sein du marché unique, à l’avantage des grosses entreprises américaines et chinoises. Des améliorations sont possibles sans heurter les acteurs nationaux.

L’Europe a beau garantir la libre circulation des personnes, des capitaux, des biens et des services, la promesse de prospérité engendrée par la création d’un grand marché unique européen – premier marché du monde avec 512 millions de consommateurs – n’a pas été tenue. En cause, la fragmentation des réglementations nationales en matière de droit commercial, de droit des sociétés, de droit des contrats, de droit des entreprises en difficulté, de droit bancaire, de droit des assurances, de droit des marchés financiers, de droit de la propriété intellectuelle, de droit social ou encore de droit fiscal. Autant de barrières à l’entrée pour les petites et moyennes entreprises (PME) souhaitant s’implanter dans un pays européen.

« Force est de reconnaître qu’aujourd’hui cette idée de marché économique unifié est une chimère pour les agents économiques », relève la députée LREM Valérie Gomez-Bassac, qui vient de remettre un rapport sur le sujet au ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Au moment où les Britanniques et leur Common law s’apprêtent à quitter l’Europe, et alors qu’une nouvelle Commission européenne est sur le point d’être nommée, la députée du Var cible un « moment européen » où serait envisageable la mise en place d’un Code européen des affaires, pour réduire au strict nécessaire les barrières existantes qui empêchent nos entreprises de grandir.

A quelles barrières sont confrontées les PME françaises souhaitant se développer dans d’autres pays européens ?

Elles sont d’ordres divers. Il peut y avoir la barrière de la langue pour laquelle on ne peut pas faire grand-chose. Mais il y a aussi des barrières législatives, réglementaires et techniques avec des normes nationales. On ne pourra changer ce qui relève aujourd’hui des États. En revanche, pour tout ce qui est barrières réglementaires et législatives, deux voies sont possibles. Soit l’on rase tout – on ne le fera pas – soit on trouve une solution pour ne pas braquer les acteurs. Je propose de réunir l’existant pour l’unifier. La base de données Eurlex est par exemple un enfer. Faisons un Légifrance à l’européenne pour que les PME s’y retrouvent plus facilement. Dans un deuxième temps, il sera plus facile d’identifier les contradictions entre pays dans les retranscriptions de directives. Il sera plus facile d’agir. Je pense notamment au droit de la distribution ou à la directive sur les agents commerciaux. Vous améliorez le paysage sans toucher aux sujets sensibles au sein des États. Pour les PME/PMI, je propose de mettre en place des outils adaptés comme la société par actions simplifiée européenne (SASE), un statut assez souple qui permettrait à l’entreprise d’utiliser différents contrats dans les pays où elle souhaite s’implanter (bail, assurance, hypothèque, etc).

La libre circulation des personnes, des capitaux, des biens et des services est garantie par l’Europe. Comment se fait-il que ce soit si compliqué pour les PME ?

Elles sont victimes d’une forme de protectionnisme intra-européen qui n’est pas forcément volontaire. Simplement, chacun des États membres a monté son droit de son côté. Il y a bien eu des tentatives d’harmonisation, par exemple du droit des contrats ou du droit des sociétés au début des années 2000. Mais ce n’était pas le bon moment. L’Europe n’était pas prête. Le problème, c’est que nos PME ne bénéficient pas des atouts du marché unique quand en face, les grands groupes américains ou chinois ont les moyens humains et financiers de profiter de ce marché.

Combien cela coûte à l’UE chaque année ?

Aujourd’hui, les échanges commerciaux sont 12 fois moindre entre États membres de l’Union européenne qu’entre états fédérés américains. Si l’Europe était capable d’harmoniser l’ensemble de ses barrières réglementaires et législatives, ces échanges augmenteraient de 35 %. Mais c’est compliqué. Alors il vaut mieux partir du terrain en créant de nouveaux outils optionnels. Si l’on se fixe un objectif d’un doublement de l’intensité du commerce entre les États membres d’ici 2050, on pourrait attendre une hausse de revenu de 14 % pour les Européens.

« Aujourd’hui, les échanges commerciaux sont 12 fois moindre entre États membres de l’Union européenne qu’entre états fédérés américains. Si l’Europe était capable d’harmoniser l’ensemble de ses barrières réglementaires et législatives, ces échanges augmenteraient de 35 % »

Quels sont les effets de cette fragmentation sur les entreprises ?

Aujourd’hui, certaines start-up préfèrent aller directement aux Etats-Unis pour se développer avant de revenir dans un deuxième temps en Europe. Ça leur coûte moins cher. Le résultat de cette fragmentation, c’est un déficit d’innovation, de productivité et donc un déficit de croissance, de pouvoir d’achat et d’emploi. Dix ans après leur création, les start-up américaines comptent en moyenne deux fois plus d’employés que leurs homologues européennes.

Une nouvelle Commission est sur le point d’être mise en place. Quelles sont les mesures à prendre en priorité ?

Il faut d’abord rendre les règles de chaque pays accessibles. Ce n’est pas cher et ça peut aller très vite. Ensuite je commencerais par le droit de la distribution – le droit de la franchise, c’est 28 textes différents aujourd’hui en Europe – et le droit de la consommation. Pas pour revenir la protection des consommateurs, mais pour harmoniser les relations commerciales sur les règles de publicité, les contrats de vente, le droit de l’après-vente. A plus long terme, l’objectif serait d’arriver à une convergence fiscale et sociale.

La sortie des Britanniques peut-elle accélérer la mise en place d’un droit européen des affaires ?

Je le pense. Seuls Malte et Chypre utiliseront le droit anglo-saxon post-Brexit. Le droit continental va se renforcer. Ce sera plus simple de le réformer.

Quels sont les rapports de force au sein de l’Union européenne sur le sujet ?

La France et l’Allemagne sont assez d’accord sur les concepts. Pour autant, ne nous limitons pas à un outil franco-allemand, même si cette coopération est nécessaire. Nous devons intégrer des États de l’Est, opérer un travail plus inclusif pour fédérer d’autres États. Le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères a demandé à ses services une feuille de route. Il existe une envie commune de tenter le défi.

Raphaël Legendre
https://www.lopinion.fr/edition/economie/valerie-gomez-bassac-pme-victimes-protectionnisme-intra-europeen-192860

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