Les Lumières de Michèle Grégoire

Interview de Michèle Grégoire, Professeur à la Faculté de Droit et de Criminologie de l’ULB et avocate près la Cour de cassation de Belgique

Par : Elise Bernard et Fjollë Ibrahimi
EuropaNova

1. En tant que participante à l’élaboration du Code européen du droit des affaires, pouvez-vous nous dire rapidement où en est ce projet ? Répondra-t-il aux attentes exprimées comme un scénario possible dans le Livre blanc de la Commission européenne sur l’avenir de l’Europe, certaines parties sceptiques ont tendance à assimiler l’harmonisation juridique à une perte de contrôle, plus précisément à la considérer comme un modèle servant à transférer les compétences nationales. Quelle est votre opinion sur cette approche, et pensez-vous qu’elle soit largement répandue ?

Tous les experts, quelle que soit leur nationalité, qui participent au projet de Code européen des affaires y apportent le fruit de leurs connaissances, leurs expériences variées, leur énergie et leur temps, avec le même enthousiasme et la conviction forte de contribuer à une œuvre d’une particulière utilité. À ce jour, treize livres ont été élaborés, couvrant l’ensemble du droit de l’entreprise. C’est une offre de Code complète, opérative et cohérente. Avec l’aide et l’arbitrage du Comité directeur, des questions résiduelles de forme, d’uniformisation de style et de présentation ont pu être tranchées. Elles se traduiront dans les textes, pour en parfaire la lisibilité, au cours des prochains jours.

Nous entrerons ensuite dans une dernière phase de consultation des secteurs professionnels concernés. Ils ont d’ailleurs été associés aux travaux dès l’origine.

Porter le Code européen des affaires s’inscrit assurément dans la ligne des ambitions tracées pour l’avenir de l’Europe. La technique de la codification, reconnue à la fois comme support indispensable au bon fonctionnement de l’économie et comme facteur d’effectivité du droit, a fait ses preuves dans l’histoire de l’Europe continentale, et au-delà. Les Etats membres, dans leur très grande majorité, se sont construits et consolidés autour d’un tel axe. En adhérant de concert à cette avancée, inspirée des méthodes du droit comparé respectueuses des particularités lorsqu’elles sont constructives, ils affirmeront leur souveraineté, plutôt que de s’en départir, tout en s’engageant délibérément dans un projet commun porteur de liberté d’entreprendre et de sécurité juridique accrues.

La France et l’Allemagne se sont dotées d’une instance décisionnelle commune et inédite, afin d’y loger les regards politiques croisés des deux pays sur l’harmonisation de leur droit des affaires. Quatre outils juridiques, dont la Société Européenne Simplifiée, sont en voie d’élaboration par l’Assemblée parlementaire franco-allemande, créée par le Traité d’Aix-La-Chapelle du 22 janvier 2019. Ils préfigurent le parachèvement d’un véritable marché unique, rayonnant et profitable pour tous.

2. Quels sont les principaux défis à relever pour la réalisation du projet du « Code européen des affaires » ?

Codifier le droit européen des affaires repose sur une tradition continentale robuste. Le procédé puise ses racines dans toute l’épaisseur de l’histoire et de la science juridiques que nous possédons en partage depuis des siècles. Malgré, et sans doute grâce à, ce long cheminement, le Code représente un instrument de progrès. Il peut même être regardé comme une ouverture radicalement moderne et émancipatrice. Par son aspiration à la simplicité. Par sa recherche obstinée de l’équilibre. Par l’accent placé sur les besoins concrets des petites et moyennes entreprises et leurs perspectives de développement pérenne. Par son détachement de tout parti pris idéologique et la neutralité de ses approches.

Dans le paysage inaperçu qui s’ouvre aujourd’hui à nous, après la sidération d’une pandémie abrupte mais insistante, le principal enjeu est la persuasion quant à la meilleure voie pour apprivoiser l’avenir.

En atteignant par le haut la synthèse des intérêts particuliers, le Code cherche à servir le bien commun. Dans une démocratie, la puissance de conviction est cruciale. C’est le principal talent politique, si pas le seul, véritablement pertinent. Associée à l’écoute bienveillante et tolérante, la détermination et le courage, cette force signe l’œuvre d’une femme ou d’un homme d’Etat. L’Europe n’en manque pas. Convaincre, donc, est un défi, non un obstacle.

3. Jusqu’à présent, l’Union européenne n’offre pas de structure de société simple, attrayante et accessible qui réponde aux besoins des petites et moyennes entreprises. Deux précédents projets de loi (celui de 2008 et celui de 2014) qui visaient à créer des sociétés simplifiées n’ont pas abouti. Quelles sont les chances de succès d’une troisième tentative – l’avant-projet de l’Association Henri Capitant, la société européenne simplifiée? Pourriez-vous brièvement préciser en quoi ce projet se distingue des deux précédents ? Quelles sont les caractéristiques essentielles qui le distinguent des formes proposées précédemment ?

La Société Européenne Simplifiée arrive à son heure. Elle répond à un besoin qui s’impose aujourd’hui comme une évidence. Par les caractéristiques techniques dont elle est pourvue, elle permet de structurer à la fois la création d’une activité nouvelle et le développement européen d’une entreprise déjà établie par la mise en place d’un groupe international, tout en prenant en considération les aspirations légitimes de ses partenaires potentiels à la sécurité juridique et financière.

Elle trace une voie conciliatrice, sans a priori ni effet de mode, entre les intérêts des associés, des travailleurs, des créanciers et de l’environnement public et collectif au cœur duquel elle est appelée à opérer.

C’est un outil de travail flexible, simple et rassurant. Les mécanismes qui président à sa constitution et à son fonctionnement sont destinés à servir l’action, et non l’inverse. L’ingénierie juridique n’y prend aucunement le pas sur la fonctionnalité.

Les tentatives antérieures ne présentaient aucun vice de conception. L’adoption concrète des formes proposées pouvaient apparaître néanmoins comme étant plus complexe. De plus, les esprits n’étaient pas prêts à s’écarter du quai pour naviguer dans la grande profondeur du marché européen, le plus important, le plus riche, le plus divers et dès lors, le plus intimidant au monde.

4. En tant que professeure et avocate ayant une grande expérience du droit bancaire et financier, pensez-vous que la crise du Covid 19 qui a frappé le monde en 2020, comme l’une des plus grandes crises sanitaires et économiques de l’histoire, à l’impact énorme sur l’économie de l’Union européenne, servira d’impulsion pour une action plus rapide vers l’harmonisation des lois sur l’insolvabilité dans toute l’UE ? Le code aura-t-il un rôle à jouer en termes de progrès à cet égard ?

Toute crise brutale et profonde transforme les lignes de vie individuelles et collective. La pandémie entraînera cet effet. Comment pourrait-on en douter ?

Par la maîtrise du virus, nous retrouvons le goût. Le goût d’agir et de découvrir, dans la simplicité et avec mesure. Entre l’économie planifiée de manière autoritaire et le libéralisme aveugle, quantité de destins humains se sont retrouvés broyés et impuissants. Il existe une troisième voie : celle que balise une régulation née d’une conception du droit comme une science des limites, dessinant de manière claire le champ des possibles.

Le Code européen des affaires ramène à l’essentiel : reconnaître, respecter et servir les 24 millions d’entreprises, déjà existantes, de toutes tailles, qui sont une mine de richesses en compétences, imaginations, échanges et transmissions de savoir-faire. L’économie est une aventure ; entreprendre ouvre une fenêtre sur l’Europe, et par elle, sur le reste du monde.

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