L’UE démontre sa capacité d’action

Par Chiara Pelster et Niklas Uder, publié le 07 mars 2022

« L’Europe n’a pas été faite, nous avons eu la guerre » (Robert Schuman, 1950).

70 ans après, cette relation n’a pas perdu son actualité. Au cours des dernières années, la crise financière, migratoire et sécuritaire ont toutes démontré que l’Union européenne (UE) ne disposait pas de compétences suffisantes pour agir efficacement, ni même d’un consensus général sur son rôle et ses ambitions futures. Ainsi, Bruxelles a consacré des ressources considérables aux litiges relatifs à la procédure de Dublin, aux négociations de sortie avec le Royaume-Uni, aux questions relatives à l’État de droit, ainsi qu’à l’inertie du débat sur l’avenir de l’UE en matière de neutralité climatique. Des slogans hostiles à l’UE de plus en plus forts, lancés par des partis nationaux conservateurs ou de droite, ont accompagné ces débats. Pourtant, c’est précisément cette UE qui, malgré un blocage technocratique croissant, renaît aujourd’hui, grâce à Poutine.

Face à la guerre en Ukraine, l’Union européenne a fait preuve de capacité opérationnelle au cours de ces derniers jours. Une action devenue impérative, étant donné que la guerre dans un pays qui lui est voisin, met en péril l’existence même de l’UE. La question de la souveraineté européenne n’a jamais été aussi cruciale. En effet, l’agression russe menace la souveraineté militaire de l’UE en vertu du fait qu’elle risque de déclencher la clause de défense mutuelle dans l’article 42, paragraphe 7, du TUE. De plus, les restrictions de l’approvisionnement en gaz, en particulier l’enterrement de Nord Stream 2, soulèvent la question de la souveraineté de l’UE en matière d’énergie.

Même si la rupture des relations économiques avec la Russie conteste la souveraineté économique de l’UE, sa politique étrangère choisie fait preuve d’une fermeté sans précédent. Mais d’autres mesures devront suivre pour que l’UE devienne plus indépendante face aux puissances géopolitiques. Parmi elles, l’élaboration d’un code économique européen unique est à envisager.

I. Un revirement de la politique européenne

Pendant des années, nous avons fait croire au monde que varietat concordia était synonyme de faiblesse et de gouvernement inefficace. Le monde entier a non seulement assisté aux échecs de la coopération politique et économique européenne, mais a aussi observé comment elle a été décrite de « dictature dégradante de Bruxelles » par ses propres pays membres. En parallèle, des régimes autoritaires affichaient soit une croissance économique considérable, soit une convivialité sociale.

Cependant, la politique étrangère de l’UE dans la guerre en Ukraine marque un tournant. La formulation choisie par Von der Leyen lors du débat du Parlement européen du 26 février 2022, « C’est un moment de vérité pour l’Europe », rappelle la proclamation « Voici venue l’heure de l’Europe » de l’ancien ministre luxembourgeois des Affaires étrangères de l’UE, Jacques Poos, en juin 1991, vis-à-vis la guerre en Yougoslavie. L’absence d’une politique européenne cohérente vis-à-vis aux événements dans l’Ex-Yougoslavie compromettait la crédibilité et la capacité d’action de l’ancienne Communauté européenne1.

Suite à l’agression russe contre l’Ukraine, une nouvelle réalité s’est imposée : l’UE n’est plus synonyme de perte de souveraineté, mais de la sauvegarde de l’intégrité territoriale des États, de la démocratie et de l’État de droit. « Le destin de l’Ukraine est en jeu, mais notre propre sort est aussi dans la balance. Nous devons montrer la force de nos démocraties, la force des peuples qui choisissent librement et démocratiquement leur propre voie, en toute indépendance. » (Ursula von der Leyen, 01.03.2022 au Parlement européen). En l’espace de trois jours après le début de l’invasion russe, 27 États ont su s’accorder sur des sanctions économiques d’une envergure inédite. « Ces sanctions auront aussi un impact négatif sur nous. Mais nous sommes prêts à assumer ces effets négatifs, car ils sont le prix de la liberté ». (Christian Lindner, FDP, ministre de l’Économie, débat au Bundestag sur la crise ukrainienne 27.02.2022). Si, contrairement à la guerre en ex-Yougoslavie, un tel consensus a été obtenu immédiatement, c’est peut-être parce que la guerre en Ukraine évoque parmi les Européens le souvenir de la présence soviétique pendant et après la Seconde Guerre mondiale.

II. Perspectives : le Code européen des affaires

L’UE doit devenir plus souveraine face aux puissances géopolitiques. Cela demande un développement des capacités opérationnelles de l’UE. Une telle progression correspondrait par ailleurs parfaitement à sa vocation. Après tout, l’Union européenne, telle que décrite par la Cour constitutionnelle fédérale dans une décision de 1967, est « une communauté distincte évoluant dans un processus d’intégration permanente ».

Face à la guerre qui se poursuit à sa frontière, l’UE doit résoudre son défaut de rapidité et d’efficacité. En effet, à ce jour, la seule institution européenne réellement efficace est la banque centrale européenne, qui est la seule instance fédérale et complètement indépendante des gouvernements nationaux.

Ainsi, lors de la pandémie Covid-19, la BCE a pu mener une politique monétaire ciblée en assouplissant les achats d’obligations dans le cadre du PEPP et en signalant aux acteurs du marché qu’elle pouvait acheter des titres de manière ciblée et en fonction des besoins. Ce faisant, elle semble avoir réussi à contrer la fragmentation croissante des marchés des obligations d’État, ce qui a permis de limiter les risques de crise des marchés financiers2.

Une réforme du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) pourrait renforcer la capacité d’action politique. Dans ce contexte, l’extension de la politique de sécurité et de défense de l’UE joue un rôle majeur. Le concept d’identité européenne de défense a été repris récemment par le président français Macron dans son discours à la Sorbonne en 20173 et devant le Parlement européen début 20224, mais fut également un sujet de discussion lors des négociations sur les traités de Maastricht dans le contexte de la guerre en ex-Yougoslavie5. Le problème central, qui a jusqu’à présent fait obstacle à une telle réforme du TFUE, est la crainte de glisser davantage dans la technocratie. En effet, l’UE est confrontée à un déficit démocratique, étant donné que le Parlement européen est la seule institution légitimée par une élection. Les autres institutions, notamment la Commission européenne, tête de l’exécutif européen, sont composées sur la base de compétence professionnelles.

De même, le développement de l’intégration économique et monétaire doit être abordé. Cela implique en outre, la création d’un code européen des affaires. Il s’agit d’un projet ambitieux visant à codifier dans un code le droit européen détaillé, incomplet et fragmenté, offrirait une ligne législative claire et uniforme, évitant ainsi les comparaisons juridiques fastidieuses et coûteuses en ressources lors d’activités transnationales. Un cadre juridique clair apporte une certaine sécurité juridique et favorise la création de nouvelles entreprises. Nous en avons besoin si nous voulons satisfaire nos besoins fondamentaux avec la plus grande autonomie possible et sur l’ensemble du territoire européen. De plus, si certaines réglementations ou procédures sont uniformisées, nous offrons au marché européen l’occasion de retrouver du dynamisme après une pandémie mondiale et une guerre sur le sol européen.

Conformément à la devise « La paix par le commerce », le Code européen des affaires contribuerait à renforcer la souveraineté économique de l’UE.

Enfin, précisons que la discussion de projets de loi comme celui du « Code Européen des Affaires » émane sur le fondement de la liberté d’expression et de réunion dont nous bénéficions sur le territoire européen. Notre droit repose sur la logique libérale du « marketplace of ideas », selon laquelle l’idée à traduire en droit est celle qui présente les meilleurs arguments. Or, l’UE n’est pas la seule à soutenir la souveraineté territoriale de l’Ukraine et la préservation de la démocratie et l’État de droit. Ce combat est également porté par tous les Russes qui sont descendus dans les rues, malgré des années d’opposition réprimée, le manque de liberté d’expression et le risque inhérent d’arrestation. Ce sont les premières victimes des sanctions économiques et culturelles. Le peuple russe doit continuer à faire preuve de courage et reconquérir sa souveraineté, car tout pouvoir étatique émane du peuple.


1 Maull/Stahl, Durch den Balkan nach Europa? Deutschland und Frankreich in den Jugoslawienkrieg, S.90.
2 Dany-Knedlik, Die EZB in der Corona-Krise: Flexibilität, DIW Wochenbericht 24 / 2020, S. 452, [https://www.diw.de/de/diw_01.c.791598.de/publikationen/wochenberichte/2020_24_6/die_ezb_in_der_corona-krise__flexibilitaet_wirkt__kommentar.html]
3 En matière de défense, l’Europe doit se doter d’une force commune d’intervention, d’un budget de défense commun et d’une doctrine commune pour agir. Il convient d’encourager la mise en place au plus vite du Fonds européen de défense, de la coopération structurée permanente et de les compléter par une initiative européenne d’intervention qui permette de mieux intégrer nos forces armées à toutes les étapes » Initiative pour l’Europe – Discours d’Emmanuel Macron pour une Europe souveraine, unie, démocratique., Paris, 26 sept. 2017.
4 « En matière de défense, enfin, nous ne pouvons pas nous satisfaire d‘être en réaction aux crises internationales. Il nous faut une puissance d‘anticipation qui organise la sécurité de notre environnement », Strasbourg, 19 janv. 2022.
5 Maull/Stahl, Durch den Balkan nach Europa? Deutschland und Frankreich in den Jugoslawienkrieg, S.87.

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