L’élaboration d’un droit franco-allemand des affaires, premier pas vers un Code européen ?

Option Finance – 25 février 2019
Par Jean-Fabrice Brun, avocat associé, Laura Bourgeois, avocate, et Edouard Vieille, avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats

Le Traité d’Aix-la-Chapelle sur la coopération et l’intégration franco-allemandes signé le 22 janvier 2019 énonce en son article 20 l’engagement de la France et de l’Allemagne d’approfondir l’intégration de leurs économies « afin d’instituer une zone économique franco-allemande dotée de règles communes ».

Il y est ajouté que « le Conseil économique et financier franco-allemand favorise l’harmonisation bilatérale de leurs législations, notamment dans le domaine du droit des affaires ».

La France et l’Allemagne ont ainsi gravé dans le marbre leur volonté d’instituer, à terme, au moins entre elles, une zone économique unique dotée de règles communes en droit des affaires.

L’utilité économique et politique d’une telle intégration est connue. D’une part, elle facilite les échanges entre l’ensemble des opérateurs du marché concerné. D’autre part, elle constitue une première « réalisation concrète » renforçant la « solidarité de fait » chère à Robert Schuman1 en ce qu’elle peut permettre d’envisager plus facilement une construction européenne.

En Afrique, depuis que l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA ) a été instituée, les travaux de cette dernière ont abouti à un arsenal normatif de dix « actes uniformes » en droit des affaires applicables, uniformément, aux seize pays membres.

Quant au Uniform commercial Code des Etats-Unis d’Amérique, il sert de base aux législations étatiques et facilite depuis des décennies les échanges commerciaux.

En Europe, une initiative universitaire privée, portée par la Fondation de droit continental et l’association Henri Capitant est en cours.

Ce projet réunit plus d’une centaine de juristes européens, répartis en 12 groupes de travail, tous dirigés par des binômes franco-allemands et créés selon les thématiques identifiées par l’inventaire de l’acquis communautaire en droit des affaires réalisé en 20162.

Le champ de l’étude menée dans ce cadre est particulièrement large. Il inclut ainsi par exemple les droits des sociétés, des entreprises en difficulté, du commerce électronique, de la propriété intellectuelle, et le droit fiscal.

L’idée de ses promoteurs est de rendre possible l’adoption d’un Code européen des affaires en réalisant un travail scientifique de fond et en mettant les résultats à disposition des organes politiques de l’Union européenne (UE) qui pourraient alors se les approprier pour porter le projet.

Un code européen des affaires fournirait des outils aux entrepreneurs et aux PME pour se développer à l’échelle du continent, alors qu’il a pu être reproché au législateur européen de ne s’être jusqu’à présent intéressé qu’« aux plus puissants », par le prisme des règles antitrust notamment, et « aux plus faibles », par celui du droit de la consommation3.

Les défenseurs du projet arguent que des règles uniformisées contribueraient à l’achèvement du marché unique et auraient le mérite de renforcer l’euro ainsi que l’attractivité du marché européen, perçu comme coûteux et complexe, en raison notamment de la grande disparité des législations nationales.

Il nous semble cependant que de tels objectifs peuvent être atteints de plusieurs manières et que des décisions politiques seront nécessaires à cet égard, comme l’abandon du projet de Common European Sales Law a pu le montrer.

Les nouvelles règles viendraient-elles remplacer purement et simplement le droit des affaires interne des Etats membres, ou viendraient-elles exclusivement régir les relations intracommunautaires ?

Auraient-elles une portée obligatoire ou facultative ? On pourrait par exemple imaginer que ces règles prennent la forme d’une « boîte à outils » laissée à la libre disposition des parties.

L’adoption finale d’un Code européen de droit des affaires reste donc pour le moment tout à fait incertaine, cela tant dans sa portée que dans son principe même.

Le devenir d’un projet d’une telle ambition dépendra en effet largement des orientations prises au sein de l’UE à la suite des élections de mai 2019.

Par la signature du Traité d’Aix-la-Chapelle, la France et l’Allemagne ont quant à elles pris position de la manière la plus solennelle qui soit et prouvé, une fois de plus, leur détermination à poursuivre la construction européenne.

Reste à savoir si elles seront ou non rejointes par leurs autres partenaires européens.


1 Déclaration de Robert Schuman en date du 9 mai 1950.
2 La construction européenne en droit des affaires, acquis et perspectives, LGDJ, 2016.
3 Bull. Joly Sociétés, juin 2018, p. 309, P. DUPICHOT.

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